Chapitre #23: Nager en eaux troubles

"Kilian, est-ce que tu ne voudrais pas venir me donner un coup de main?
-Mmhm..."


Le jeune adolescent grimaça, et continua de suivre les mouvements indiqués par le coach de la télévision. Le sport était devenu un élément clé de sa vie, depuis qu'un de ses camarades de classe l'avait traité de gringalet maigrichon. Depuis, il suivait un programme régulier, et comptait bien faire valoir ses muscles.

"Tu veux prendre le volant? poursuivit sa mère l'air de rien.
-J'arrive!"

Seule la conduite accompagnée pouvait le décrocher de ses exercices quotidiens, car il comptait bien décrocher son permis le plus tôt possible: dépendre de ses parents pour ses déplacements l'insupportait.

Les jumeaux avaient pris quelques centimètres, et plus ils grandissaient, moins ils se ressemblaient: Shéhérazade était le portait craché de sa mère, tandis que Salim avait de nombreux points communs avec Akim. Cependant, leurs centres d'intérêt restaient encore les mêmes, ce qui leur valait de peser lourd dans la balance, quand il s'agissait de choisir la chaîne de la télévision.

"Allez soyez sympa, filez-moi la télécommande...
-Non!"

Kilian avait beau les supplier, il ne parvenait jamais à regarder son programme préféré.

"De toute façon, tu ne regardes même pas la télé, tu fais tes exercices, lui rappela un jour sa mère. Tu peux très bien faire ça dans ta chambre, laisse-les regarder les dessins animés.
-Pfff..."

L'adolescent avait haussé les épaules, et était parti prendre une assiette dans le frigo. Le sport lui donnait faim, et il lui fallait ses trois repas bien remplis chaque jour. Un jour, il parviendrait à impressionner ses camarades. Peut-être qu'ainsi, il aurait plus de facilités à se faire des amis, parce qu'il n'avait jamais vraiment réussi à se rapprocher des élèves de sa classe.

Il n'y avait qu'avec Kenny qu'il s'entendait bien.

Salim était encore jeune, mais il commençait déjà à s'affirmer, ce qui ne plaisait pas entièrement à sa soeur. La douche et les fauteuils piégés, on les devait à Salim, les éviers bouchés, c'était encore lui, et les insectes sous l'oreiller n'étaient jamais là par hasard.

Shéhérazade essayait toujours de l'en empêcher, sans y parvenir.

"Tu vas encore te faire gronder tu sais! disait-elle en croisant les bras.
-Personne ne saura que c'est moi!"

Et pourtant, la fillette se sentait obligée de tout raconter à sa mère: trouver un cafard dans son lit n'était pas la meilleure des expériences, et elle ne comprenait pas pourquoi son frère agissait ainsi.

Félicité hocha la tête.

"De toute façon, je me doutais bien que ce n'était ni toi, ni tes grands frères.
-J'ai essayé de lui parler maman, mais il ne m'écoute pas!
-J'irai le voir, ne t'inquiète pas pour ça!"

Elle l'embrassa, laissant pourtant Shéhérazade perplexe.

Elle passait bien sûr de bons moments avec son frère. Depuis que l'hiver était arrivé, et que la neige avait recouvert le sol, ils sortait souvent dehors pour construire des igloos, des bonshommes de neige et organiser une bataille de boule de neige.

Il arrivait simplement qu'elle ne reconnaisse plus le petit garçon qui était né en même temps qu'elle, dès qu'il commençait à faire des bêtises. La plupart du temps, ce n'était rien de grave, mais il lui arrivait de penser que cela pouvait devenir beaucoup plus sérieux que ça ne l'était pour le moment.

Elle faisait preuve d'une grande maturité pour son âge, ce qui n'était pas le cas de Salim.

Kilian était souvent invité chez son ami Kenny. Ils faisaient leurs devoirs ensemble, parce que c'était beaucoup plus simple: ils se partageaient le travail, et chacun pouvait expliquer à l'autre ce qu'il avait compris des exercices.

L'adolescent aimait être chez son ami, loin de l'école, et loin de sa famille. Kenny était fils unique, et sa maison n'était jamais bien remplie, tandis que la sienne était constamment bruyante, avec ses parents et ses frères et sa soeur.

Chez Kenny, tout était reposant, et on pouvait se lâcher quand on voulait.

"Un peu de musique? lui fit son ami en l'emmenant dans sa chambre.
-Génial!"

Kilian regarda la station de musique avec envie, pendant que Kenny se dandinait. Il le rejoint en riant, après tout, danser était une forme de pratique sportive, cela ne pouvait pas lui faire de mal!

Il se sentait bien, et s'il avait osé, il aurait sauté au cou de son ami.

"Hé, tu dors ou quoi?"

Il se rendit compte que Kenny lui parlait, et qu'il s'était complètement perdu dans ses pensées, en pleine contemplation.

Akim était souvent désigné pour raconter des histoires à ses deux plus jeunes enfants le soir. C'était lui qui racontait le mieux les histoires, et il se faisait toujours un plaisir de choisir un nouveau livre.

Salim était encore en train de prendre son bain, lorsque Shéhérazade se glissa sous ses draps.

"Quelque chose ne va pas? lui demanda son père en la bordant.
-Si, si ça va... C'est juste que..."

Elle chuchota à l'oreille de son père, qui lui adressa un sourire rassurant.

"J'irai lui parler, ne t'inquiète pas."

Mais ni Félicité, ni Akim ne parvenaient à apaiser l'angoisse de Shéhérazade vis-à-vis de son frère. Mais quel enfant n'avait pas fait les quatre cent coups? Les parents n'étaient pas inquiets, et pensaient que cela lui passerait avec l'âge.

Les doigts posés sur le clavier, Félicité se rendit compte qu'enfin, elle avait terminé: son autobiographie était complète, il ne lui restait plus qu'à la relire, à corriger certains passages, et à trouver un éditeur. Elle était impatiente de voir ce livre sous sa forme matérielle, et de la présenter à la presse et à son public.

Kilian est Gabriel s'était rendu au festival d'hiver, pour profiter du lac gelé et de tous les avantages de disposer d'un terrain enneigé.

Kilian patinait légèrement, face à Kenny. Quelque chose était différent de d'habitude. Peut-être son sourire, ou ses cheveux... Oui, Kenny n'avait pas l'air d'être coiffé comme tous les jours, quelque chose avait changé.

"T'es encore dans la lune ma parole! s'exclama Kenny en passant à côté de lui."

Kilian lui adressa un sourire, puis reprit ses esprits.

Gabriel était bien loin de toutes ces questions, il avait l'impression de vivre le grand amour, d'avoir rencontre son âme soeur avec Lydia. Elle était gentille, mais pas trop. Il était certain d'avoir trouvé la femme de ses rêves, et projetait déjà de se marier avec elle et d'avoir des enfants.

Kilian enviait son frère. Il ne lui semblait pas que l'amour était aussi simple que ça. Comment savait-on que l'on était amoureux? Comment pouvait-on réussir à se déclarer, une fois qu'on était certain de ses sentiments? Et si on était rejeté...?

Assis à son bureau, il regarda avec une certaine mélancolie, les photos qu'il avait faites avec son ami.